Ceux qui font de la boxe, dit-on, n’en parlent pas et ceux qui en parlent n’en font pas. De quoi parlent alors les boxeurs ?
Ils racontent des histoires de boxe. Ils parlent beaucoup des autres, et très peu d’eux-mêmes, pour des raisons de sécurité et d’honneur. Le boxeur est placé devant un dilemme. Soit il a en face de lui un autre boxeur, et il ne voit pas l’intérêt de confier des sensations que l’autre connaît par cœur. Soit il a en face de lui un non-boxeur, et alors il ne voit pas l’intérêt d’exposer des sensations que l’autre ne connaîtra jamais.
De plus, ce que vivent les boxeurs sur un ring leur paraît évident. La volonté d’exister, la nécessité vitale, l’instinct de survie, la lutte contre l’autre, la recherche de la victoire, sont des aspects qui leur paraissent appartenir au fond commun de l’humanité. Ils les considèrent comme notre patrimoine collectif, le fondement de tout être humain, et même de toute chose vivante. Il leur paraît donc tout à fait superflu d’en parler.
Leur surprise est grande lorsqu’ils s’aperçoivent que leur interlocuteur ignore à peu près tout du B-A-BA de l’humanité. En entendant dans la bouche de l’autre les mots « violence », « brutalité » ou « primitivité », leurs visages s’assombrissent et intérieurement ils se disent : Il n’a rien compris, il faut tout lui apprendre, ne perdons pas notre temps et passons notre chemin. D’autant que, c’est bien connu, il est extrêmement difficile de parler des choses essentielles, alors qu’il est très facile de discuter pendant des heures de choses superficielles.