
L’analyse de la boxe pieds-poings sous l’angle de la violence est d’une rare complexité. La violence semble marquer ce sport et pourtant, dès qu’on essaie de la saisir, dès qu’on croit l’avoir cernée, elle se dérobe sous nos pieds et nous oblige, intellectuellement, à réviser nos certitudes tranquilles.
La boxe anglaise a longtemps souffert d’une réputation de sport violent. Or, c’est en adoptant ses règles que le Muay Thaï, qui avait été interdit, a pu, en 1930, être de nouveau pratiqué officiellement.
Cette discipline, malgré l’apport des règles de la boxe anglaise, garde la réputation d’être la plus violente de la boxe pieds-poings. Or, si l’on interroge ses pratiquants, certains déclarent qu’ils se sont orientés vers elle parce qu’ils la jugeaient moins violente que les autres disciplines pieds-poings...
Chaque dimanche, ont lieu en France une multitude de compétitions dans toutes sortes de sports. Le paradoxe est que, le lundi, on retrouve à l’hôpital moins de boxeurs que d’adeptes d’autres activités physiques (rugbymen, footballeurs, etc...).
Georges Perez, le président de l’association « Médecine-Boxe » souligne dans « Traumatismes cérébraux de la boxe » que chaque année dans les Alpes françaises, cent accidents mortels sont recensés. En 1987, dix morts sur les stades de rugby, en dix ans, le Paris-Dakar a fait vingt-deux victimes et la liste serait longue... alors que, depuis 1945, on compte en boxe 350 décès dans le monde et ce pour des millions de boxeurs et des dizaines de millions de combats. (Voir aussi Danger). On a sans doute tendance à confondre violence et énergie vitale ou combativité (Voir Rage)Le rapport entre le public et la boxe est très ambigü. Plus le niveau de vie augmente et la sécurité s’étend, plus les individus éprouvent le besoin de voir en spectacle d’autres individus qui vivent dangereusement, dans l’incertitude, qui se confrontent directement aux choses, qui assument seuls leur destinée, sans autre filet qu’eux-mêmes. Plus la vie des membres d’une société est encadrée, prise en charge, plus les files s’allongent devant les salles de cinéma où sont projetés des films dégoulinant de sang et de violence. Le paradoxe est là : notre société n’est devenue violente que parce qu’elle a voulu évacuer le danger et ignorer la mort.
Ce qui dérange le public dans ce sport, c’est d’y voir un double miroir de lui-même. En creux, il y voit l’image de son propre renoncement à sa prise en charge personnelle et son acceptation d’une société d’assistance. En bosse, il y voit crûment la représentation au premier degré de la violence qui préside aujourd’hui aux rapports sociaux. Qui se choque dimanche de la violence de la boxe, n’a qu’une idée en tête le lundi : démolir son concurrent commercial, mettre à terre le collègue qui l’empêche d’atteindre le poste qu’il convoite, asphyxier méthodiquement son adversaire politique, agresser le client qui se présente à son guichet, envoyer ses parents dans un mouroir, laisser à la télévision le soin d’éduquer la descendance de l’humanité, refuser de distribuer des seringues aux toxicomanes ou de porter des préservatifs dans ses rapports sexuels, pourrir l’existence de ses subordonnés, etc... etc... Arrêtons là cette liste des violences quotidiennes que pratiquent légalement et en toute impunité ceux que la vue d’un coup de poing remplit d’effroi...