L’atmosphère de la salle d’entraînement, aménagée souvent en sous-sol, au bout d’un couloir sombre, au fond d’un gymnase, pourrait faire penser que la boxe vit repliée sur elle-même. Le boxeur existe-t-il quand il ne s’entraîne pas ou ne combat pas ? Il semble que le pratiquant cherche sur le ring une ouverture qu’il ne trouve pas dans la vie. La quête d’authenticité qui anime le boxeur le conduit souvent dans sa vie courante à obliger l’autre à baisser sa garde, à se découvrir, non point pour qu’il soit plus vulnérable, mais pour qu’il se montre tel qu’il est et que le boxeur puisse alors avec lui avoir un vrai contact (le coup de poing symbolisant ce contact vrai et direct).
On dira qu’il peut exister entre les individus des contacts moins brutaux qu’un coup de poing. En quoi un coup serait-il une forme de contact plus vraie qu’une autre ? Il apparaît pourtant que la vérité fait toujours un peu mal, et que nous ne survivons dans nos relations avec les autres que parce que nous manions le mensonge et l’hypocrisie. Quelqu’un disait que si tous les hommes savaient ce que tous les autres hommes disent sur eux, aucune relation sociale ne serait plus possible.
Le boxeur a du mal à admettre cette hypocrisie, et c’est ce qui rend pour lui difficile le rapport avec les autres. Pour cette raison sans doute, le boxeur viendra rarement vers vous, alors que sur un ring, il n’hésitera pas à aller au-devant de l’autre. Mais il est vrai que cet autre fonctionne comme lui... En revanche, si vous venez vers lui, il vous accueillera chaleureusement. Mais, sans doute, parce que c’est sa nature, il ne pourra s’empêcher de vous mettre à l’épreuve. Non pas physiquement - car il ne frappe que ses pairs - mais moralement, au détour d’une petite phrase, d’une confidence. Il peut, au moment où vous vous y attendez le moins, vous assener en pleines tripes une vérité sur sa vie, sur la vie, ou sur vous, qui vous expédiera dans les cordes... ou au tapis. Il ne faut pas oublier que les boxeurs se serrent la main avant de se frapper dessus. L’agression n’est donc pas pour eux l’inverse de l’amour, mais une pulsion qui s’exprime sans qu’on puisse en tirer de conclusion sur le degré d’affection qu’ils portent à la victime du coup.
Autrement dit, il est conseillé de ne pas croire que l’affection sincère que vous témoigne le boxeur vous met à l’abri des coups. Il est préférable de toujours rester un peu en garde. Il faut toujours avoir à l’esprit que le boxeur fonctionne sur l’idée que plus il donne de coups à l’autre plus il lui rend service. Il le blinde, le fortifie. Habitué à une autre logique, vous risquez sans doute d’être surpris que la relation amicale présente des phases violentes. Et le boxeur attendra votre réaction. Le coup n’est pas destiné à faire mal mais simplement à mieux vous connaître.
Parfois le boxeur s’étonnera de vous voir vous effondrer, alors même qu’il n’avait pas l’intention de vous porter un coup. Mais voilà, le naturel, l’authenticité, l’instinct, la vérité, sont, pour certains sujets mal préparés, d’une violence inouïe. Un peu comme un citadin peut être anéanti par l’air trop vif, trop sain de la campagne ou de la montagne. Et c’est souvent parce qu’il voit autour de lui de nombreux individus s’effondrer devant sa nature trop vive, trop saine, que le boxeur se sent désemparé dans ses rapports avec les autres. Il ne comprend pas pourquoi la sincérité choque autant...
Du coup, il s’enferme un peu avec ses frères. Cependant, il reste toujours ouvert à tout individu. A condition, bien sûr, qu’il soit toujours vainqueur. Car, autant le boxeur ne supporte pas qu’on s’écroule devant lui au premier coup comme une fillette, autant il n’apprécie pas non plus qu’on lui résiste trop. Autant être prévenu : l’amitié avec un boxeur ne ressemble à aucune autre. Avis aux amateurs...